Les demandeurs d’asile sont des personnes qui ont fui leur pays en raison des persécutions qu’ils subissaient du fait de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social. Certains d’entre eux ont parfois été victimes de tortures ou de traitements inhumains ou dégradants.
1/ Sur la difficulté de prouver les tortures et mauvais traitements
Lors de l’instruction de la demande d’asile, il est souvent difficile de prouver ces tortures ou ces mauvais traitements. En effet, la charge de la preuve incombe au demandeur d’asile, qui est déjà dans une situation d’extrême précarité et démuni lorsqu’il doit décrire les mauvais traitements dont il a été victime.
Lors de l’entretien à l’OFPRA ou de l’audience devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le demandeur d’asile doit raconter les évènements à l’origine de son départ. S’agissant du récit des tortures ou mauvais traitement qu’il a subies, il arrive qu’il garde le silence sur ces évènements traumatisants afin de se protéger ou bien, en raison d’un sentiment de honte et/ou de culpabilité, d’une incapacité à se rappeler les évènements ou encore d’une appartenance culturelle qui rend le dialogue difficile.
Ce silence gardé par le demandeur est en général mal interprété par l’agent de l’OFPRA et les magistrats de la CNDA, qui n’hésitent pas à rejeter la demande au motif que ses déclarations ne sont pas crédibles et ne sont pas étayées.
Le demandeur d’asile doit donc faire face à l’incrédulité des autorités et doit prouver qu’il a subi la torture, les viols ou les violences physiques. Il va être questionné sur des détails périphériques de l’évènement traumatique (tels que le nombre de personnes ou de fenêtres dans la pièce où la torture prenait place, la couleur des uniformes ou des murs, la date ou la durée des évènements etc.) et ces éléments vont permettre aux autorités en charge de la demande d’asile d’en tirer des conclusions sur la crédibilité de la demande d’asile.
Or, il n’est pas toujours possible pour les demandeurs d’asile de parler de tortures ou d’un viol lors du premier entretien à l’OFPRA, avec un agent qui n’est pas formé pour appréhender ces situations-là.
En outre, aucun dispositif n’est prévu pour l’aider à évoquer ces évènements traumatiques. Aucun examen médical ou psychologique du demandeur d’asile par des experts n’est mené. Les cicatrices physiques, les conditions médicales et psychologiques, ainsi que les problèmes de comportement et les problèmes socioculturels qui s’y attachent, sont rarement examinés. L’OFPRA et la CNDA ne tiennent pas compte du rapport possible entre les problèmes de santé du demandeur d’asile et l’expérience des violences et de la torture.
L’histoire que le demandeur d’asile raconte durant l’entretien ou l’audience est donc déterminante
2/ Le certificat médical, actuel moyen de preuve
Pour corroborer ses allégations, le demandeur d’asile pourra produire un certificat médical permettant de constater les éventuelles cicatrices et séquelles des blessures subies.
Aux termes de la Convention de Genève, le certificat médical est certes facultatif pour la reconnaissance du statut de réfugié mais il peut se révéler utile pour l’appréciation des lésions invisibles subies par le demandeur d’asile.
Cependant, le certificat médical constitue une preuve indirecte des tortures et mauvais traitements subis et sa valeur probante est limitée.
En outre, il est souvent reproché aux certificats médicaux d’avoir été délivrés par des médecins généralistes qui entretiennent une relation de confiance avec leurs patients et d’être donc dépourvus d’une certaine objectivité.
Méfiantes, les autorités en charge de l’examen de la demande d’asile n’attachent pas une grande importance aux certificats médicaux alors que le Conseil d’Etat a, dans un arrêt du 10 avril 2015, insisté sur la valeur probante de ces certificats :
« Considérant que, pour rejeter la demande de M.A…, la Cour a jugé, par une appréciation souveraine, que le caractère sommaire, imprécis et contradictoire de son récit ne permettait pas dʼétablir la réalité des risques quʼil serait susceptible de courir en cas de retour dans son pays dʼorigine ; quʼen se bornant à relever par ailleurs que “ dans ces conditions, le certificat médical du 11 octobre 2011 ne saurai[en]t suffire à modifier la présente analyse “, alors que le certificat qui lui était soumis faisait état de façon circonstanciée de plusieurs blessures et traumatismes, sans chercher à évaluer les risques que cette pièce était susceptible de révéler ni préciser les éléments qui la conduisaient à ne pas les regarder comme sérieux, elle a commis une erreur de droit. » (CE, 10 avril 2015 10ème /9ème SSR n° 372864)
Le Conseil d’État, par cet arrêt, prend en considération la jurisprudence foisonnante de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui considère que le certificat médical atteste objectivement de la réalité des faits de torture ou de mauvais traitements allégués.
3/ Vers l’intégration de l’expertise médicale dans les demandes d’asile ?
De manière générale, la CEDH accorde une grande importance à la preuve scientifique et médicale pour déterminer si la personne a effectivement subi des mauvais traitements et il est probable que cette preuve scientifique va également s’imposer dans l’instruction des demandes d’asile en France.
D’ailleurs, certaines organisations internationales recommandent de recourir à des experts pour déterminer si le demandeur d’asile a effectivement été victime de violences ou de tortures. Ainsi, la production de certificats de complaisance serait ainsi évitée et l’identification précoce des demandeurs d’asile serait facilitée.
Toutefois, se pose la question de savoir dans quelles conditions l’expertise pourra être menée et à quelle stade de la procédure.
Dans la procédure devant l’OFPRA, la réforme sur le droit d’asile adoptée en juillet dernier a inséré un nouvel article dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Le nouvel article L. 723-5 du CESEDA, qui entrera en vigueur le 1er novembre 2015, dispose que :
« L’office peut demander à la personne sollicitant l’asile de se soumettre à un examen médical.
Le fait que la personne refuse de se soumettre à cet examen médical ne fait pas obstacle à ce que l’office statue sur sa demande.
Les certificats médicaux sont pris en compte par l’office parallèlement aux autres éléments de la demande.
Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’asile et de la santé, pris après avis du directeur général de l’office, fixe les catégories de médecins qui peuvent pratiquer l’examen médical, ainsi que les modalités d’établissement des certificats médicaux ».
Ainsi, la réforme sur le droit d’asile va permettre à l’OFPRA de soumettre le demandeur à un examen médical si les suspicions, à l’égard du récit, subsistent.
De la même façon, l’on peut imaginer que CNDA pourrait ordonner une expertise médicale en s’appuyant sur l’article R.733-15 du CESEDA qui prévoit que :
« La cour peut prescrire toute mesure d’instruction qu’elle jugera utile.
En cas d’expertise ordonnée par la formation de jugement, le rapport déposé par l’expert désigné par le président de la cour est communiqué aux parties. Le président de la cour fixe également, par ordonnance, les honoraires dus à l’expert et arrête, sur justificatifs, le montant de ses frais et débours. L’ensemble est mis à la charge de la partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’il soit mis à la charge de l’autre partie ou partagés entre les parties ».
Dès lors, les autorités responsables de la demande d’asile ont désormais à leur disposition des outils leur permettant de vérifier, de manière objective, les allégations de tortures et de mauvais traitements des demandeurs d’asile.
L’examen médical et psychologique de ce type de patient est cependant très spécifique et requiert une certaine connaissance des traumatismes résultant de torture et de mauvais traitements. C’est pourquoi la directive européenne n°2013/32/95 invite l’expert désigné à s’appuyer sur le Protocole d’ISTANBUL pour examiner le demandeur d’asile.
Le Protocole d’ISTANBUL ou « Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » a été publié par les Nations Unies en 1999 et a été élaboré par des experts judiciaires, des professionnels de la médecine et des organisations de défense des droits de l’Homme. Il est le premier ensemble de lignes directrices pour l’investigation et la documentation de la torture.
Le Protocole contient des instructions complètes et pratiques pour l’examen des personnes qui déclarent avoir été victimes de torture ou de mauvais traitements, pour l’investigation des cas présumés de torture et pour faire état des conclusions de l’investigation auprès des autorités compétentes.
Le Protocole d’ISTANBUL est avant tout un document de travail ; il n’a donc pas de valeur juridique à proprement parler. Néanmoins, la CEDH n’hésite pas à y faire référence dans ses arrêts (voir CEDH 27 juillet 2004, Bati et autres contre Turquie requêtes nos 33097/96 et 57834/00). En effet, la jurisprudence de la Cour attache une grande importance à ce que les actes de torture allégués fassent l’objet d’une enquête sérieuse.
Dépourvu de force contraignante, le Protocole n’en demeure pas moins un véritable outil d’interprétationdes obligations contenues dans d’autres instruments internationaux, visant à prohiber la torture et qui ont, eux, force contraignante à l’égard des États (Convention internationale contre la torture de 1987, article 7 du Pacte sur les droits civiques et politiques ; article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur l’interdiction de la torture).
En substance, le Protocole d’ISTANBUL énumère les différentes étapes de l’examen médical :
– un entretien de la victime concernant les actes subis,
– un profil psychosocial de la victime avant et après les actes de torture,
– un profil psychiatrique,
– une évaluation du fonctionnement social,
– des tests psychologiques,
– une évaluation clinique.
Il est bien évident que le recours systématique à cet outil de travail améliorerait grandement les procédure visant à accorder le statut de réfugié pour les victimes de tortures et de mauvais traitements et encouragerait les autorités à mieux prendre en considération les facteurs psychologiques, socioculturels et physiques qui empêchent les demandeurs d’asile de présenter une histoire cohérente et complète de leur expérience.
Un examen médico-psychologique complet, mené selon les directives décrites par le Protocole d’ISTANBUL transformerait profondément la procédure d’asile s’agissant des demandeurs d’asile qui allèguent des tortures ou des traitements inhumains et dégradant et qui, de fait, sont extrêmement vulnérables. Traumatisées par les tortures qu’elles ont subies, ces personnes doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement médico-psychologique adapté à leur état.
Dans son Observation générale n°3, le Comité contre la torture rappelle que les Etats parties à la Convention des Nations Unies contre la torture ont l’obligation d’assurer aux demandeurs d’asile et aux réfugiés une réhabilitation aussi complète que possible, dès qu’ils pénètrent sur leur territoire, et même si le dommage qu’ils ont subi n’est pas imputable à cet Etat. Cette obligation suppose non seulement un accès à des soins médicaux et psychologiques mais aussi une assistance juridique et sociale. Cette obligation inclut une procédure de détermination et d’évaluation des besoins thérapeutiques spécifiques aux individus, basée entre autre, sur le Protocole d’ISTANBUL.
Enfin, l’on peut regretter que la réforme de l’asile, qui a vocation à transposer la directive n°2011/95/UE du 13 décembre 2011 et la directive 2013/32/95/UE du 26 juin 2013, ne fait pas expressément référence au Protocole d’ISTANBUL alors que la directive n°2013/32/95/UE encourage les États à se référer au Protocole pour l’appréciation de la torture et des mauvais traitements.
Pour en savoir plus:
– Le Protocole d’ISTANBUL:cliquez ici
– Le Guide pratique du Protocole d’ISTANBUL: cliquez ici
– Arrêt du Conseil d’Etat, 10 avril 2015 10ème /9ème SSR n° 372864: cliquez ici
– Arrêt CEDH, Batı et autres c. Turquie (requêtes nos 33097/96 et 57834/00): cliquez ici
– Directive du 13 décembre 2011 n°2011/95/UE : cliquez ici
– Directive du 23 juin 2013 n° 2013/32/95/UE : cliquez ici